France Culture vient de consacrer une émission intitulée Karl Popper et les théories du complot que nous reprenons ici tant elle est Zététicienne (27 juin 2017) !
Mathias Girel nous aide à décortiquer les conspirations, ces complots qui singent la rigueur démonstrative des théories scientifiques.
Sommes-nous aujourd’hui dans l’ère des complots ? Qu’on pense à Jules César assassiné par les « libérateurs » ou encore à Henri IV par Ravaillac, l’Histoire est parsemée de ces grandes figures qui furent victimes de complots politiques. Mais de nos jours, le soupçon généralisé qui remet en cause la « version officielle » des faits est devenu omniprésent sur les réseaux sociaux, ces sources d’informations « alternatives ». Alors comment faire la part des choses entre des faits réels et toutes ces théories du complot qui nous conduisent à une paranoïa collective?
Le texte du jour
« Il existe une thèse, que j’appellerai la thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. Elle part de l’idée erronée que tout ce qui se passe dans une société, guerre, chômage, pénurie, pauvreté, etc., résulte directement des desseins d’individus ou de groupes puissants. Idée très répandue et fort ancienne, dont découle l’historicisme ; c’est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes.
Je ne nie évidemment pas l’existence de complots. Ceux-ci se multiplient même chaque fois que des gens croyant à leur efficacité accèdent au pouvoir. Cependant, il est rare que ces complots réussissent à atteindre le but recherché, car la vie sociale n’est pas une simple épreuve de force entre groupes opposés, mais une action qui se déroule dans le cadre plus ou moins rigide d’institutions et de coutumes, et qui produit maintes réactions inattendues. Le rôle principal des sciences sociales est, à mon avis, d’analyser ces réactions et de les prévoir dans toute la mesure du possible.»
Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis (t. 2 : Hegel et Marx), éditions du Seuil, 1979 [1962-1966], pp. 67-68 (chapitre 14).