Fiche de lecture : La démocratie des crédules, de Bronner Gérald
Sur l’auteur : Gérald Bronner est un professeur de sociologie à l’université de Paris et membre de l’institut universitaire de France. Il travaille notamment sur des questions autour des croyances et de la radicalité. Il est l’auteur de l’Empire des croyances (PUF, 2003) et de La pensée extrême (Denoël, 2009). La démocratie des crédule est publié en 2013, chez PUF.
Référence bibliographique : Bronner Gérald (2013), La démocratie des crédules, PUF, Paris, 2019.
« Pourquoi les croyances perdurent en général, et pourquoi elles ont une grande vitalité aujourd’hui en particulier ? » (p.275). La première question renvoie à L’empire des croyances, la seconde question est la problématique essentielle qui justifie cet ouvrage en cinq chapitres de Gérald Bronner, qu’il débute en rappelant le droit fondamental au doute dans les démocraties. Un droit oui, mais qui va obligatoirement avec des devoirs. Car sans contrainte, le doute perpétuel peut devenir la négation de tout discours. Ce qu’il se passe notamment dans la virulence complotiste. Or, « l’essence de toute vie sociale est la confiance » (p.4), d’autant plus dans une société démocratique où la maîtrise de l’intégralité des connaissances et des compétences est devenue impossible. « […] une société fondée sur le progrès de la connaissance devient, paradoxalement, une société de la croyance par délégation, et donc de la confiance. » (p.7). Cette confiance peut cependant être altérée et l’auteur note une montée de la méfiance à l’égard des discours issus des institutions officielles (scientifiques, médiatiques, politiques). En s’appuyant sur les travaux de Alexis de Tocqueville et Guillaume Erner, Bronner indique que ce qui se joue dans les sociétés démocratiques pacifiées, c’est la volonté des individus de s’affilier à un statut de victime, ce que permet le doute excessif, celui qui conduit à voir « un complot contre la vérité » (p.12). Ce phénomène massif, c’est la « face obscure de notre rationalité » (p.19), c’est-à-dire que les individus croient ce qu’ils ont des raisons de croire sans pour autant avoir raison de le croire. La suite de l’ouvrage s’attache à démontrer ces raisons en les articulant autour d’un double « processus de démocratisation: la libéralisation du marché de l’information et la révolution de l’offre des produit sur ce marché » (p.20).
La théorie du marché cognitif à l’ère du numérique
Le marché cognitif, théorie principale de L’empire des croyances, est, selon Bronner le lieu de diffusion, de rencontre, de renouvellement, de mise en concurrence des informations, des hypothèses, des croyances, des théories, etc. En ce que les produits ne subissent pas de censure étatique, ce marché est globalement libéral dans les sociétés démocratiques. Dépendant directement de son contexte politique et social, c’est là que convergent les interactions individuelles vers des formes relativement stables de la vie sociale. Alors qu’il est issu des grandes étapes du développement de la communication (apparition du langage, de l’imprimerie, de la radio, augmentation du taux d’alphabétisation, de l’éducation etc.), c’est à Internet que ce marché doit ses récentes évolutions. Le marché cognitif et l’espace du débat public ont, en effet, été démocratisés puisque, comme l’a déjà indiqué Dominique Cardon, tout internaute peut prendre publiquement la parole et l’espace privé incorpore désormais l’espace public. Si les normes d’évaluation médiatiques étaient également un filtre sur les canaux de diffusion journalistiques quasi-monopolistes auparavant, ce filtre n’a désormais plus qu’un impact moindre. Ainsi, l’offre informationnelle ainsi que l’offre des produits cognitifs se sont vastement élargies, s’accompagnant parallèlement, d’un recul des canaux traditionnels de diffusion de l’information et d’un appauvrissement mécanique de la qualité informationnelle.
On pourrait dès lors penser que que cette profusion nouvelle de l’information est une bonne nouvelle pour l’émergence d’une société de la connaissance. S’inspirant de la sociologie de Max Weber, Bronner montre pourtant qu’entre croyances et connaissances méthodiques, les secondes ne l’emportent pas nécessairement sur les premières. Et cela pour plusieurs raisons : non seulement les connaissances méthodiques sont plus difficilement assimilables par des non-spécialistes, nécessitent un plus grand investissement temporel mais elles peuvent aussi aisément provoquer un désenchantement chez les individus confrontés à des explications mécaniques plutôt qu’à des artifices magiques.
De plus, l’auteur indique que l’esprit humain est soumis à différent biais cognitifs. Le biais de confirmation, pour commencer, facilite l’adhésion à des propositions qui flattent les penchants naturels de l’esprit. Il y a également une tendance à favoriser les solutions, face à un problème donné, qui exige le moindre effort mental : cette « avarice cognitive » (terme emprunté à Susan Fiske et Shelley Taylor – p.42) explique partiellement la longévité des croyances et la difficulté des connaissances méthodiques à s’imposer. Ce qui mène le sociologue au théorème de la crédulité informationnelle. Face à la profusion des informations et en choisissant plus aisément les sources qui vont dans leur sens, les individus ne se confrontent que peu à des points de vues différents. « Plus le nombre d’information non sélectionnées sera important dans un espace social, plus la crédulité se propagera » (p.48).
Le numérique comme vecteur de croyance
Internet, quant à lui, s’allie particulièrement bien avec les idées douteuses. C’est en fait « un marché cognitif hypersensible à la structuration de l’offre et, mécaniquement, à la motivation des offreurs » (p.60). Cette structuration de l’offre dépend grandement des caractéristiques techniques des sources numériques de l’information. Concernant Google, étudié par l’auteur, si la globalité du fonctionnement de ses algorithmes reste secret, il est connu, aujourd’hui, que le pagerank est fondamental. En bref, c’est une note de popularité attribuée à une page web établie en fonction du nombre de lien qui pointent vers un site, pondérée par la popularité des sites desquels ces liens sont issus. En conséquence de cela, la structuration de l’offre sur internet avantage les offreurs les plus investis, c’est-à-dire les croyants, plus motivés que les non-croyants à défendre leur point de vue et à y consacrer du temps. Car « la croyance est partie prenante de l’identité du croyant » (p.76) et parallèlement, un non-croyant n’aura que peu d’intérêt à tenter de contre-argumenter. En conséquence, Internet est le point d’ancrage d’un « oligopole cognitif paradoxal » (p.78).
Ce qui renvoie Bronner au paradoxe d’Olson : si les individus se groupent, ils peuvent obtenir un avantage quelconque qui sera supérieur aux investissements nécessaires. Cependant, ils savent qu’ils obtiendront les avantages sans subir les coûts en ne participant pas si suffisamment d’individus se rassemblent quand même. Ainsi apparaît un « ventre mou de notre rationalisme contemporain dans lequel l’irrationalisme se taille allégrement un espace conséquent et paradoxal » (p.86).
De plus, les algorithmes chargés de réaliser un tri informationnel et de proposer certaines informations plutôt que d’autres aux individus en fonction de leurs historiques de recherche, de leurs habitudes en ligne ou encore de leurs zones géographiques seraient responsables de la création d’une « bulle de filtrage » (p.51) ne laissant passer que certaines informations aux dépends d’autres. Bronner, cependant, confesse après avoir mené des observations empiriques que les effets de cette bulle de filtrage serait moindres en réalité.
Pour se diffuser efficacement, les produits douteux ont besoin de résister aux argumentaires rationnels. Pour se faire, ils utilisent ce que l’auteur appelle l’ « effet Fort » (p.90), en s’appuyant sur la méthode argumentative utilisée par Charles Fort. C’est-à-dire la constitution d’un « mille-feuille argumentatif » (p.90), un enchevêtrement d’arguments très fragiles pris de manière isolée mais dans une telle profusion qu’ils laissent une impression de « tout ne peut pas être faux » (p.90), tout en étant difficile et coûteux à déconstruire. Contrairement au bouche-à-oreille, canal diffusionnel privilégié, autrefois, par les rumeurs, légendes urbaines et théories du complot, la labilité des interlocutions sur le web est amoindrie. Puisque les récits y trouvent une forme stable, ils se mémorisent plus aisément et s’inscrivent dans la durée, autorisant ainsi, « la mutualisation des arguments de la croyance » (p.95). Ils obtiennent donc une forme de crédibilité.
Bronner évoque alors la négligence de la taille de l’échantillon, c’est-à-dire la propension des individus à isoler un événement ou une période d’un ensemble plus vaste auquel il appartient. Cette négligence conduit à voir des éléments suspects là où il n’y en a pas et participe à l’accumulation indiquée.
Fondamentalement, la massification des techniques et des usages numériques, avec l’aide d’un arsenal législatif adéquat, ont permis l’émergence d’une société de la transparence : face à la profusion médiatique et technologique et en conséquence de la démocratisation du marché de l’information, une nouvelle peut désormais difficilement rester cachée. Ce qui implique un paradoxe : si les informations ont de plus en plus de chance de devenir publique, celles relevant d’une tentative de manipulation de l’opinion publique laisseront l’idée qu’elles sont de plus en plus fréquentes, alors qu’en réalité, il y a de forte chance pour qu’elles le soit de moins en moins. Ce paradoxe est en lien avec le biais de proportionnalité : il n’y a aucune raison de penser que le mensonge est plus commun de nos jours. Par contre, dans le contexte d’une société de la transparence, chaque tentative échouée sera bien plus visible et médiatisée et laisse l’impression qu’une plus grande occurrence du phénomène. La transparence est une condition démocratique pour le chercheur, mais par prolongement, elle encourage la suspicion, accentuée par l’effet Othello, c’est-à-dire une mise en récit efficace au service de l’acceptation d’une conclusion plus ou moins farfelue. Sans forcément être performatif, cet effet ouvre un champ des possibles.
L’ensemble de ces éléments fait que le temps d’incubation des croyances douteuses est grandement réduit sur Internet, ce qui favorise « l’avènement d’une démocratie des crédules et souligne le fait que la concurrence informationnelle ne favorise pas toujours l’expression de la vérité » (p.128).
Le journalisme face à la profusion informationnelle
La concurrence entre les médias, condition démocratique, montre ses limites lorsqu’elle devient effrénée. Mécaniquement, le temps attribué à la vérification de l’information diminue à mesure que la concurrence s’accroît et se montre alors une mutualisation d’erreurs. Sans blâmer les journalistes, des humains comme les autres, l’auteur indique qu’ils tombent dans le piège posé par le dilemme du prisonnier. Sur un marché ultra-concurrentiel de l’information, ils sont dans l’incertitude constante à propos de ce que vont faire leur concurrent face à une information jugée peu fiable. Dans un certain nombre de cas, ils publieront alors sciemment des rumeurs, en pensant que leurs concurrents feront de même, afin de maximiser les gains et diminuer les pertes. Enfermés dans un cercle vicieux, les médias orthodoxes publient des types d’information sur lesquels ils se refusaient à travailler auparavant. « Il suffit qu’un média pointe un sujet »vendeur » pour que tous soient attirés vers lui » (p.144). Ce cheminement a d’autant plus de conséquence lorsque la rumeur en question implique une inquiétude, bien plus courante dans la vie sociale car disposant d’une mise en récit plus efficace et mémorisable. Pour Bronner, jusqu’à un certain cap, la concurrence est bonne pour la qualité informationnelle. Mais passé ce cap, ce n’est plus vrai. La pression concurrentielle fait diminuer le temps accordé à la vérification des faits et incite à s’abandonner aux « pentes les moins honorables de l’esprit humain » (p. 187). Il y a en fait une dissonance entre l’intérêt général, la publication lente d’information vérifiée et fiable, et les intérêts particulier, économiques et publicitaires, des médias. Ce qui fait dire à l’auteur que la pénétration d’une croyance sur le marché cognitif dépend de deux critères : elle doit impliquer celui qui l’endosse et elle doit apporter une information inédite. « les mécanismes qui conduisent à rendre une information erroné plus visible qu’une autre sont multifactoriels, mais il relèvent toujours d’une alliance entre des erreurs de raisonnement et des attentes crédules, voire idéologique ».(p.151-152), ce qu’il montre par une étude de cas de la supposée vague de suicide chez France Télécom de 2009/2010, où une théorie monocausale a été majoritairement reprise dans les médias. Permettant une critique de la libéralisation du marché économique, cette théorie, porteuse, de plusieurs biais permet à l’auteur de montrer la représentation erronée du hasard des individus, à l’image de l’effet râteau, la croyance en une répartition égalitaire du hasard sur une période délimitée. L’emballement médiatique par contre pourrait être à l’origine de que David Phillips appelle l’effet Werther (p. 168), c’est-à-dire le suicide par mimétisme.
Le vice démocratique
Plus qu’un mal purement médiatique, c’est un vice démocratique qui se joue ici, permis par l’avènement de la technique. Internet, la libéralisation du marché cognitif et la révolution de l’offre des produits sur ce marché ont mené à une « démocratisation de la démocratie » (p. 201) qui réactualise le « triumvirat de la démocratie : j’ai le droit de savoir, j’ai le droit de dire, j’ai le droit de décider » (p.201). Si tous sont inclus dans les gènes de la démocratie, le dernier l’est plus particulièrement dans les conceptions participatives – Bronner dira plutôt délibératives -. Apparaît alors une confrontation fondamentale : l’opinion publique face à l’intérêt général. La figure de proue de la démocratie délibérative, c’est la théorie de la sagesse des foules. Une idéologie pour le sociologue, c’est-à-dire « […] l’expression inconditionnelle d’une idée qui n’est que conditionnellement vraie » (p.221) . Une foule peut effectivement trouver la solution à un problème, notamment lorsque les excès des uns équilibrent les manques des autres. L’expression est cependant plus convaincante lorsqu’elle renvoie à une « mutualisation des ressources » (p. 223), permettant de s’extraire des limites spatiales et de l’ensemble des lests qui pèsent sur la rationalité individuelle. Mais elle l’est moins lorsqu’il s’agit de poser à niveau égal des avis divers assourdissants, plus particulièrement les discours précautionnistes issus du militantisme, souvent favorisés par les médias desquels ils cherchent l’attention, et l’orthodoxie scientifique sur des sujets pointus. Ceci qui se justifierait par une réalité : l’orthodoxie scientifique peut faire des erreurs, c’est sa « faillabilité » (p. 208) et l’histoire a démontré qu’elle pouvait même faire l’objet d’une « corruption possible » (p.208), mais ce serait oublier que le monde scientifique est un lieu de convergence et de confrontation où chaque analyse, chaque étude, chaque résultat est supposément passé à la loupe par des pairs aux origines et aux sensibilités très différenciés. Elle l’est également moins si on prend en compte les limites cognitives des rassemblements. Si la diversité est le critère d’excellence d’application de la sagesse des foules selon le théorème de Condorcet, elle n’en reste pas moins soumise à de nombreux biais et limites que Bronner va non-exhaustivement lister.
L’effet de cascade se traduit de deux manières : premièrement, la cascade d’information se produit lorsqu’un individu en manque d’information suivra un individu qui paraît informé, c’est une forme de conformisme cognitif; deuxièmement, la cascade de réputation apparaît lorsqu’un individu souhaite éviter le coût social de la contestation. Ce double effet apparaît est la conséquence de la disparité des capacité de prise de parole et d’argumentation des acteurs. Après les experts, ce sont les militants qui ont le plus de bagage argumentatif. Ainsi, les individus les moins pourvus de bagage vont s’aligner sur ceux en ayant le plus, créant un biais d’ancrage. Un autre biais peut s’appliquer, l’effet de polarisation. Celui ci se produit lorsqu’une foule adopte une position plus radicale face à un problème donné que la moyenne des positions individuelles. Les individus sont donc potentiellement soumis à une « convergence prédictible de l’erreur » (p.239), il ne suffit que d’un seul pour rassurer les autres qui souhaitent aller dans le même sens, quand bien même ils seraient tous dans l’erreur. De plus, Les individus ont tendance à sur-évaluer les faibles proportionnalité, ce qui peut mener à des demandes irrationnelles notamment lorsque les questions posées renvoient à un risque. Les agents ont également du mal à analyser équitablement les avantages et les inconvénients d’une situation au profit des derniers. S’ajoute à cela, le biais de division: lorsqu’un individu avance plusieurs arguments incompatibles entre eux pour soutenir une thèse. Enfin, L’effet Ésope joue aussi un rôle, il renvoie à cette propension à penser le pire face à une situation incertaine, avec une dimension auto-réalisatrice : il suffit que le pire se produise une seule fois pour qu’il apparaisse comme une évidence systématique. (p.257).
En conclusion, « La démocratie délibérative, lorsqu’elle prétend s’exercer sur certains sujets, prend le risque de se muer en démagogie cognitive, voire en populisme » (p. 265). Pour Bronner, la démocratie des crédules contient tous les ingrédients pour voir émerger une nouvelle forme de populisme, qu’il définit comme « toute expression politique donnée aux pentes les moins honorables et les mieux partagées de l’esprit humain » (p. 266), telle celle du précautionnisme qui flatte toutes les intuitions trompeuses de notre esprit à propos des situations d’incertitudes. L’opinion publique peut donc aller à l’encontre de l’intérêt général. A ceux qui pensent que l’inclusion de tous dans l’intégralité des débats est « hautement démocratique » (p.270), Bronner montre que la réalité pourrait au contraire être « bassement démocratique » (p. 271)
Le soin par la méthode
Dans un dernier chapitre, Bronner tente d’apporter des solutions aux problèmes qu’il a éludé tout au long de son ouvrage. Selon lui, l’ancienne idée que l’éducation des masses fera disparaître les croyances douteuses est fausse. En s’appuyant sur divers travaux (Jean-Bruno Renard, Daniel Boy, Guy Michelat), l’auteur montre qu’il n’existe pas de « relation linéaire entre niveau d’études et croyance en la science » (p.282), que les croyances, y compris radicales ne diminuent pas nécessairement à mesure que le niveau d’éducation augmente, et il y aurait même une certaine tendance inverse. Mais pourquoi les individus les plus instruits ne sont pas insensibles à ces croyances ? Pour Bronner, la réponse est assez simple : plus on engrange de connaissance, plus on est conscient de ce que l’on ne sait pas, se créer alors un « élargissement de l’horizon intellectuel » (p.286) qui peut très bien basculer dans la crédulité. C’est la « logique glissante du relativisme » (p.291) qui opère un saut dangereux entre considération des erreurs possibles de la science et qualification de cette dernière en croyance, comme le sont les alter-sciences, ce qui est accentué par l’utilisation de typification de l’argumentation scientifique qui les font passer pour pointus et crédibles, que seuls les esprits initiés accepteront. En conséquence, « plus nos concitoyens se considèrent comme informés sur un sujet, plus ils doutent des scientifiques ».
Puisque la solution n’est pas l’augmentation du niveau d’éducation, elle se trouve « au coeur de notre esprit » (p. 296). Le droit au doute est inaliénable, mais pas sans devoir. Autrement dit, la clé résiderait dans la méthode. L’école entreprend bien de développer l’esprit critique, en mettant en contact chaque apprenant avec les divers courants de pensée existant, mais elle oublie l’enseignement de la méthode. Le vrai, mis en situation de concurrence avec le possible tend alors à paraître illusoire. « L’esprit critique, s’il s’exerce sans méthode, conduit facilement à la crédulité » (p.296). Ce que fait cette méthode selon l’auteur, c’est mettre en exergue la pensée scientifique comme un effort d’affranchissement des limites indépassables de la rationalité qui empêche le devenir des « sujets omniscients et font mécaniquement de nous des sujets croyants » diminués spatialement, temporellement et culturellement. La méthode scientifique se transmet de génération en génération, ainsi le nouveau chercheur disposera d’une méthode plus aboutit que celle de ces prédécesseurs dont les travaux auront permis d’affiner la justesse. Le filtre des pairs, lui, permet de s’extraire partiellement des limites individuelles, culturelles et spatiales. « Or, nos systèmes éducatifs et une certaine idéologie relativiste nous ont mieux préparer à défaire la connaissance plutôt qu’à la reconstruire, et la participation de tous au débat pourrait amplifier les phénomènes de mutualisation de l’erreur déjà observés » (p.303)
Un des enjeux à venir serait donc de « faire reculer les limites de la rationalité » (p.304), en adaptant notamment les méthodes d’enseignement pour réduire les effets des biais, par la répétition et la persévérance. C’est aussi dans la communication et la transmission de l’information qu’il faudrait agir, par l’utilisation des méthodes communicationnelles promues par le marketing cognitif et la mise en place d’un système de vérification/sanction par les pairs dans la profession journalistique, afin de rétablir la confiance perdue.