Happycratie d’Épicure à Julien Peron

Voici un résumé reprenant les principaux points discutés lors du débat qui a suivie la conférence de Françoise Mariotti. Chacun peut se reporter à l’enregistrement pour retrouver les propos exacts tenus par chaque personne.

La question « qu’est-ce que le bonheur » a été au centre de plusieurs échanges. Il est clair que toute définition complète du bonheur est vaine, même si les philosophes s’y essaient depuis vingt-cinq siècles au moins. C’est aussi ce que tentent de faire les tenants de la psychologie positive, dont les recettes se présentent comme des voies d’accès au bonheur ; et aussi, d’une certaine manière les religions, même si ce bonheur est reporté à une vie ultérieure (cf le trafic des indulgences par l’Église d’avant la Réforme). Des tentatives sont faites pour en donner une définition juridique, l’exemple est donné de la démarche dite « psytoyens » (même s’il s’agit avant tout d’une recherche dans le champ de la santé mentale : cf https://pro.guidesocial.be/associations/psytoyens-asbl-concertation-usagers-sante-mentale.13244.htmlJLB).

Par comparaison avec la santé, qui se prête à une définition sans doute discutable mais basée sur des critères objectifs, on voit bien que le bonheur est avant tout un ressenti, distinct de ses conditions propres d’apparition ; ce qui explique, comme le dit un participant, qu’un ermite en son désert puisse être aussi heureux qu’un jet-setter plein aux as. Ce qui explique aussi, comme le montrent Illouz et Cabanas dans leur ouvrage, qu’une majorité de gens puissent se dire heureux même dans un pays comme Israël vivant sous une menace permanente.

Peut-être une définition a contrario, comme l’absence de malheur ou de souffrance est-elle plus éclairante ? À l’inverse de cette approche contrastive, peut-on être heureux malgré ou même avec ses malheurs ? Et l’idée selon laquelle « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » se vérifie-t-elle si souvent ? À chacun de voir. Cela renvoie à la question de la résilience, très présente dans la discussion.

En tout état de cause, le bonheur peut parfaitement être vu comme une norme sociale, une forme d’obligation, en ce qu’il conditionne, tout comme la santé, une autonomie qui permet à l’individu d’être dans la société et d’y contribuer (y compris le cas échéant sur son lieu de travail, cf le phénomène récent des responsables du bonheur dans certaines entreprises).

Concernant la « résilience », l’usage souvent abusif qui est fait de ce concept conduit à ce que son acception large, au sens de capacité à rebondir après des coups du sort, empêche que la notion puisse être approfondie selon les règles de la démarche scientifique. Si tel était le cas, on en découvrirait des aspects occultés -comme le fait que la résilience peut aussi caractériser la capacité à s’imposer dans des milieux violents, voire mafieux. Ce qui soulève la problématique suivante : dans une définition stricte et rigoureuse, scientifiquement fondée, on peut considérer que la « vraie » résilience est en fait un phénomène rarissime, alors que l’observation brute de la réalité du monde peut au conduire à admirer la résilience de foules innombrables qui parviennent à survivre aux pires malheurs.

Au-delà de ces situations limites (catastrophes naturelles, guerres, massacres) ou des vécus individuels, plus anecdotiques, la résilience peut-elle aussi prendre la forme d’un instinct de survie, d’une volonté de vivre, voire du simple « choix » de continuer à vivre malgré les aléas du destin ?

Quoi qu’il en soit, la résilience est à distinguer de la résignation. L’important est de comprendre qu’il s’agit d’un processus, qui n’est peut-être jamais fini, et qui suppose des conditions pour pouvoir se déclencher. Parmi ces conditions, une part est liée au hasard, aux circonstances, souvent à la présence d’un « tuteur ». Et comme on l’a vu dans des cas comme celui de Primo Levi, on peut être résilient – au sens classique du terme- et survivre aux pires atrocités, puis sombrer dans la dépression, peut-être au point de vouloir se supprimer (Je signale que cette thèse du suicide de Primo Levi est aujourd’hui âprement controversée, de nombreux indices plaidant pour une cause accidentelle. Cf notamment https://www.letemps.ch/culture/primo-levi-ne-se-serait-suicide, ou https://www.courrierinternational.com/article/1999/09/02/polemique-sur-la-mort-de-primo-levi, ou encore https://fr.wikipedia.org/wiki/Primo_LeviJLB)

Notes de Jean-Luc Bernet

Un boni : il a été question, en marge de la discussion, de l’eau comme « bien gratuit » qu’on nous ferait payer. Il a été rappelé à juste titre que ce que nous payons, pas bien cher d’ailleurs, ce n’est pas l’eau mais l’eau potable extraite, traitée, acheminée et ensuite évacuée, traitée à nouveau et recyclée. L’eau de la pluie ou de la rivière, elle, reste gratuite -encore faut-il la puiser ou la stocker. Ce qui n’est pas gratuit, et de loin, c’est l’eau en bouteille, pas meilleure mais 50 à 100 fois plus chère que celle du robinet. J’ai promis aux participants une petite vidéo de Laure Noualhat, alias Bridget Tokyo (vous la trouvez sur Internet) qui traite cette question, et d’autres sujets écologiques, avec un humour irrésistible. Ne résistez pas.

https://www.youtube.com/watch?v=lNQSPUnuJmI