La malscience

Sujet du jour : la malscience, présenté par Nicolas Chevassus-au-Louis à partir de son ouvrage publié sous ce titre.

Le titre « la Malscience », jeu de mots intraduisible dans une autre langue, est une allusion à la malbouffe.

IV – Débat :

Comme chaque fois, je regroupe certaines interventions, sans citer de noms, sans prétendre à une restitution exhaustive ; il s’agit de rendre compte des principaux points abordés dans la discussion. Certaines questions ou interventions sont parfois difficiles à reproduire et il n’est pas question de se livrer à un procès-verbal intégral qui serait fastidieux que je n’ai ni l’envie ni le temps de faire. Le cas échéant, cet échange se retrouve dans l’enregistrement effectué par Philippe Monnin. JLB

Question : quelles « contre-mesures » sont mises en place pour éviter ou limiter la fraude ?

R : des comités scientifiques existent (je n’ai pu en noter le nom JLB) mais sont souvent encombrés par les litiges de signature.

Question : quel est l’impact réel des articles frauduleux sur le monde scientifique et sur le grand public ?

R : pas d’impact sur le monde scientifique, mais impact majeur sur le grand public du fait d’Internet et des médias notamment. Le monde scientifique se défend, plus par les rétractations que par les dénonciations à la Sokal/Bricmont. Cela dit, les rétractations appellent également à une interprétation : l’augmentation du nombre de rétractations peut être le signe d’une fraude en croissance, ou bien le signe d’une plus grande vigilance.

Questions/remarques :

* la question des points aberrants dans les résultats de recherches est compliquée à gérer, dans la mesure où le format d’une publication ne permet pas de tout écrire. La solution est de donner la double analyse : avec et sans point aberrant.

* Concernant les publications à résultats « négatifs », il faut considérer qu’il y a une obligation de tout publier. Mais il faut distinguer la publication du rapport, qui est censé la sous-tendre. De plus, parler de résultats « négatifs » risque de faire oublier qu’un chercheur fait évoluer sa recherche, n’a pas nécessairement envie de travailler « pour rien ».

* Discussion à avoir sur les avantages et inconvénients du financement par appel à projets de préférence au financement dit « récurrent » avec évaluation à intervalles réguliers. « On veut aussi des chercheurs qui trouvent ».

* Les revues « prédatrices » (qui proposent à des chercheurs, en fait à n’importe qui, de « publier » moyennant finances) sont un phénomène nouveau et en croissance : les gens connus pour leur expérience sont sollicités sans arrêt pour des publications mais aussi pour participer à des colloques.

Remarque annexe : malgré une histoire honorable, la maison d’édition l’Harmattan se livre depuis longtemps à ce genre de pratique. Cf https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_L%27Harmattan

  1. : le monde scientifique se défend aussi par la constitution de bases de données qui permettent de repérer ces prédateurs de l’édition scientifique ou pseudo-scientifique à but purement lucratif. Le nom de Jeffrey Bill est prononcé ( ? rien trouvé JLB) ainsi que celui d’une base de données nommée Dryade ( ? rien trouvé non plus). On a aussi le contre-exemple d’une grande revue (laquelle?) qui a mis au point une parade étonnante mais qui part d’un bon sentiment : elle accepte le principe de la publication avant même que les résultats soient sortis si (et seulement si) la démarche méthodologique est correcte.

Concernant l’évaluation des chercheurs, l’indicateur bibliométrique reste dominant, même si les chercheurs eux-mêmes s’en défendent. Une difficulté tient au fait qu’une citation ne veut rien dire en soi : un chercheur peut être cité pour être critiqué.

Question : ne pourrait-on utiliser un système du type blockchain (utilisé jusqu’ici dans le domaine financier, cf le bitcoin) pour assurer la traçabilité des articles frauduleux ?

  1. : piste intéressante, à creuser

Question : les gros financeurs privés n’ont-ils pas un effet pervers ?

R : il y a en fait moins de fraude dans la recherche privée que dans le public. Exemple de deux firmes grandes firmes privées (Bayer et Amgen) qui n’ont plus voulu acheter de licences venant du public parce qu’elles s’avéraient non reproductibles après vérification. Le privé serait plutôt plus vertueux.

Question/remarque : la fraude est un phénomène normal, les chercheurs sont des êtres humains. Il y a des mesures d’encadrement faciles à mettre en place. Par exemple aux États-Unis un chercheur qui candidate doit donner un maximum de trois articles de sa main à l’appui de sa candidature.

Question/remarque : beaucoup des thèmes qui constituent la raison d’être de la zététique font l’objet de recherches « négatives », comme les ondes électro-magnétiques, les résidus de pesticides, les OGM. Heureusement que ces recherches négatives existent, elles permettent d’avoir des arguments.

Question/remarque : il y a des cas où les enseignants encouragent leurs étudiants à orienter leurs recherches dans tel ou tel sens, parce que c’est porteur et que cela permet plus facilement d’obtenir des financements.

R : il n’est pas choquant en soi que l’État veuille piloter la recherche.

Question : est-ce que la baisse du financement public de la recherche pourrait aboutir à une diminution de la recherche fondamentale, qui est davantage le fait du secteur public ?

R : il n’y a pas de réponse globale. Le niveau général de la recherche, public et privé confondus, se maintient à 2% du PIB depuis une trentaine d’années.

Question/remarque : il y a eu des tentatives à l’ESJ de Lille, par la formation de journalistes scientifiques (c’est-à-dire de scientifiques intéressés par le journalisme) pour abaisser la frontière entre la science et le public. Mais cette même frontière bouge à cause d’Internet.

Question/remarque : le modèle économique de l’édition scientifique est très particulier, notamment à cause du coût des abonnements.

R : c’est vrai, 4 grands groupes tiennent l’essentiel de l’édition scientifique. Les mathématiciens ne publient plus dans Elsevier, la critique monte.

Question/remarque sur le risque de fraude en histoire : la fraude est plus difficile car on se base sur des sources que n’importe qui peut vérifier (archives). Les doctorants sont harcelés mais aussi mis en garde par leurs enseignants.

R : c’est sans doute vrai mais qui se donne vraiment la peine de vérifier aux archives ? Le problème est surtout les citations partielles, qui débouchent sur une forme de fraude. D’autre part il faut distinguer selon les périodes : pour le Moyen Âge, on a peu de sources, alors que pour les époques plus récentes il y a surabondance.

Question/remarque : à partir de l’exemple de Joël de Rosnay, qui n’est pas, ou plus, un chercheur au sens classique du mot, on voit les médias s’emparer d’un concept, comme celui d’épigénétique et le mettre à toutes les sauces (l’exemple d’inventions pures et simples à tonalité scientifique comme la « xénobiologie » est également donné).

R : les scientifiques les plus connus du grand public sont souvent les moins connus dans leur discipline (plusieurs noms sont donnés). Les médias aiment bien les « bons clients », ceux qui se prêtent volontiers au jeu de l’interview. Alors que beaucoup de chercheurs le fuient plutôt : perte de temps, questions stupides, etc.

D’après les notes de Jean-Luc Bernet