Compte-rendu de la séance du 16/6/2018
Comme toujours, il s’agit d’un compte-rendu non pas systématique, mais reformulé par regroupement de certaines interventions, sans citer de noms, et sans prétendre à une restitution exhaustive ; il s’agit de rendre compte des principaux points abordés dans la discussion. Les réponses ou ajouts de Jeremy sont signalés par R.
Jean-Luc Bernet
Discussion faisant suite à la présentation de Jeremy Royaux
(présentation qui a été saluée pour la finesse avec laquelle il a réussi à reprendre l’essentiel de son exposé de la veille sans aucunement lasser les auditeurs qui l’entendaient pour la 2e fois, en développant certains points et en donnant des exemples particulièrement éclairants).
Question : la prière, les chapelets, la répétition. Est-ce de l’hypnose ?
R : Oui, en quelque sorte, car ce type de pratique répond à un processus d’induction qui l’y apparente. Certaines pratiques religieuses utilisent cet état de transe qui renforce la religiosité. Les cultes pentecôtistes en sont un bon exemple, avec la pratique de la glossalie ou expression dite « en langues » (il s’agit en fait d’onomatopées sans signification et en aucun cas de « langues inconnues » comme le soutiennent les fidèles).[1] Ces manifestations sont courantes, et traduisent la capacité naturelle de toute personne à donner libre cours à son imagination.
Question : que penser d’une émission ou Messmer réussit à « hypnotiser » quelqu’un d’aussi rationnel que Michel Cymes ?
R : reprise des explications sur les « trucs » de Messmer et des hypnotiseurs de spectacle (une des trois grandes pratiques de l’hypnotisme, les deux autres étant l‘hypnose médicale ou de sédation et l’hypno-thérapie). Explication de la notion d’ancrage qui conduit la personne hypnotisée à reproduire un comportement qui lui a été « soufflé » par induction dans la première phase.
Question : les gourous finissent par se convaincre de leurs propres mensonges. N’y a-t-il pas là un auto-conditionnement ?
R : on a intérêt à croire à ses mensonges, sinon c’est invivable. De plus, la mémoire finit par imposer la version fabriquée, qui prend le dessus sur la vérité factuelle mais reste fragile. C’est pourquoi d’ailleurs les méthodes d’interrogation permettent de confondre les coupables menteurs en leur demandant de donner de nombreux détails, en inversant l’ordre du récit, etc. L’auteur de mensonges trop élaborés finit nécessairement par se couper et se trahir.
Question : n’y a-t-il pas un risque de représailles de la part de ceux qu’on dérange dans leur business en les démasquant ?
R : oui, je suis personnellement tout à fait transparent et de ce fait très exposé à la critique. Un épisode particulièrement pénible a été un dossier que j’avais élaboré alors que j’étais un des animateurs de l’OZ[2] pour dénoncer la méthode Gesret, mise au point par un ostéopathe qui prétendait guérir l’asthme et d’autres affections chroniques par ses manipulations. La chose s’est ensuite reproduite lorsque j’ai critiqué la Synergologie[3] , qu’on peut considérer comme une pseudo-science. Je me suis appuyé notamment sur le travail de Dany Plouffe, sceptique canadien : j’ai été harcelé pendant de longs mois par la présidente de Synergologie-France, qui m’a menacé de procès.
Remarque : et on sait que parfois ce genre de menace aboutit, cf Simon Singh au Royaume-Uni. En même temps, ne pas réagir est peut-être regrettable.
R : on a mieux à faire dans ma position que de perdre son temps, son énergie et son argent en procès car même quand on est attaqué à tort, il faut quand même se défendre, et les associations zététiques et apparentées ne disposent d’aucun moyen, sinon l’argumentation rationnelle et scientifique.
Remarque : à propos des dangers auxquels on s’expose quand on dénonce, on a eu récemment les exemples d’Aurélien Enthoven (youtubeur connu sous le nom de Gigantoraptor[4]) assailli d’insultes antisémites, et celui de Vlad Tapas, victime d’un « coming out » forcé et malveillant.
R : par nature, l’environnement Internet est violent, il n’y a pas de solution. Si on va sur Internet, il faut se préparer au risque d’être malmené.
Remarque : à propos de l’évaluation, on peut se reporter au rapport de l’INSERM, dont Libération se fait l’écho sous la plume d’Éric Favereau, spécialiste de ces questions et très proche de la zététique dans sa démarche.
Question : peut-on faire une différence entre état altéré/modifié de la conscience ?
R : le consensus, c’est qu’il n’y a pas d’état hypnotique à proprement parler, du coup la qualification de l’état n’a pas d’importance, il s’agit juste de connotations (« altéré » étant souvent compris comme « dégradé »). L’état de conscience et notamment la largeur du champ de l’attention varie tout le temps, y compris pendant une séance d’hypnose.
Question : que signifie exactement « thérapie brève » ? Quel en est le cadre ?
R : on doit cette notion à l’école de Palo Alto, avec des noms comme ceux de Bateson, Watzlawick, qui ont voulu réagir à une époque où la psychanalyse était en perte de vitesse aux États-Unis sans que les TCC se soient encore suffisamment structurées pour la remplacer, la thérapie familiale n’offrant qu’une alternative limitée (lourdeur et longueur des protocoles). Milton Erickson a ensuite été à l’origine de pratiques innovantes, théorisées par d’autres, qui insistaient sur la nécessité d’adapter la thérapie à la vision du monde du patient et à engager celui-ci dans des « tâches thérapeutiques » : il s’agit de faire quelque chose pour aller mieux et non pas seulement de creuser dans sa mémoire ou d’essayer d’appliquer à sa propre situation des concepts importés. La thérapie brève existait avant les TCC et en constitue peut-être le précurseur : on parle de thérapies orientées vers la solution (solution-focused therapies).
Exemple de fauses solutions qui peuvent parfois devenir elles-mêmes le problème : si on propose à un phobique de l’ascenseur de prendre l’escalier, en recherchant des causes quelconques à sa phobie (situations problématiques de la petite enfance par exemple) sa phobie risque de s’enkyster. La thérapie cognitivo-comportementaliste consiste à déprogrammer/reprogrammer ces comportements sur la base d’une « alliance » entre le thérapeute et le patient.
Remarque : on dispose d’un exemple célèbre d’un sceptique à l’égard de l’hypnose, en l’occurrence René Frydman, qui décide de saboter une séance d’hypnose et n’y parvient pas. Il obéit malgré lui à un « ordre » qui lui a été donné par l’hypnotiseur. Ce qui amène la question : le libre-arbitre est-il préservé ?
R : En fait, nous sommes tous sensibles à la suggestion, si rien ne s’y oppose. C’est là qu’intervient la différence entre la résistance à un « ordre » qui ne prête pas à conséquence et la résistance à un « ordre » qui braverait l’interdit ou le bon sens (impossible de convaincre quelqu’un par l’hypnose de donner son argent, d’aller tuer quelqu’un, ou de se mettre gravement en danger). Pour faire faire des choses dangereuses, il faut un processus complet d’endoctrinement, long et complexe, où l’hypnose n’a aucune part (cas des personnes recrutées par les jihadistes).
Remarque : l’hypnose peut être une excuse pour faire quelque chose qu’on ne ferait pas normalement. L’exemple classique de la tarentelle en Italie du Sud témoigne du fait que le prétexte de la folie soi-disant provoquée par la morsure de la tarentule permettait de transgresser les normes du comportement socialement admis pour les femmes.
Question : quel est le passage entre l’hypnose et la transe ?
R : la transe est une forme de relaxation, et chaque personne présente ses propres caractéristiques quant à sa capacité à se relaxer ou la forme que cette relaxation peut prendre.
Question : pourquoi les gens sont-ils plus ou moins sensibles ?
R : la sensibilité est multifactorielle, c’est une question de personnalité. Nous sommes plus ou moins enclins à entrer dans un rôle, à nous déplacer de notre comportement habituel tout en restant spontané. Mais le contexte ou l’environnement peut avoir un effet. Le rôle de la voix notamment est important.
Remarques : les outils d’investigation des neuro-sciences permettent d’analyser l’activité cérébrale, de montrer quelles zones s’allument, par exemple pour les grands méditants.
- : oui, ces études existent, sont très pointues. On peut s’en tenir à quelques recommandations simples : par exemple ne pas proposer aux gens de se coucher (sinon ils s’endorment carrément). Les gens qui pratiquent la « street hypnose » font un travail intéressant car ils démystifient le côté magique de l’hypnose.[5]
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Informations diverses pour clôturer la séance, rappel des dates de rentrée et de la présence du CZLR au Forum « Antigone des Associations » prévu le 9/9.
Rappel également de l’université d’été/automne des 29 et 30 septembre dont le programme définitif sera diffusé pendant l’été.
Notes de Jean-Luc Bernet
Pour se faire une idée de cette pratique sympathique (qu’on pourrait tout aussi bien appeler « hypnose de rue », et qui n’est peut-être pas dénuée d’ambiguïtés, remarques personnelles de JLB), cf : l’interview de Jean-Emmanuel Combes, qui en est à l’origine (https://www.youtube.com/watch?v=YlmR3dvcmps) et une expérience avec deux jeunnes Toulousaines (https://www.youtube.com/watch?v=W4umQdNsfNQ, mignon mais moyennement convaincant, encore une remarque personnelle de JLB).
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Quelques informations transmises par Jeremy Royaux au sujet du scepticisme belge que nous n’avons pas eu le temps d’aborder :
En Belgique, nous avons 2 associations sceptiques : le Comité Para et le SKEPP (du coté néerlandophone).
Le Comité para est en général présenté comme l’association sceptique la plus ancienne du monde. Elle a été créée en 1949 par un groupe d’universitaires accompagnés d’un magicien professionnel qui souhaitaient lutter contre les dérives liées aux croyances irrationnelles avec la devise : Ne rien nier à priori, ne rien affirmer sans preuves.
Après la guerre, les futurs membres du Comité se sont inquiétés des nombreux charlatans qui proposaient de retrouver les défunts disparus pendant le conflit, souvent contre de l’argent. Scandalisés par ces pratiques, ils ont décidé de se regrouper pour agir. Les membres du Comité étaient très actifs au niveau des médias et au niveau universitaire à l’époque. Ils organisaient également de nombreuses conférences. Les activités ont continué entre temps, tout en devenant plus rares ces dernières années à cause de l’âge des membres.
En 2017, le Comité Para a fusionné avec Skeptics in the Pub Bruxelles (conférences mensuelles dans un pub) et je suis devenu le nouveau président. Nous sommes en train de moderniser la structure du Comité et il va pouvoir reprendre plus activement ses activités d’ici quelques mois. Le Comité Para est également cité comme l’inspiration principale lors de la création du CSIcop (devenu aujourd’hui CSI). Paul Kurtz aurait créé le CSIcop après le débat entre le Comité et Michel Gauquelin (autour de l’effet « Mars »)
Quand au SKEPP, cette association a été créée en au début des années 90 avec des objectifs similaires à ceux du Comité. Les deux associations ont collaboré depuis le début
Au niveau européen, il existe une association qui a pour but de fédérer les associations sceptiques. Elle se nomme l’ECSO (European Council of Skeptical Organisations). Elle organise des congrès bi-annuels en Europe et permet également certains contacts entre les associations. Le prochain congrès aura lieu en Aout 2019 à Gand (Belgique) et est en cours d’organisation. Il se tiendra sur plusieurs journées. A ce stade, il est encore possible de proposer des interventions (en anglais).
Jérémy Royaux remercie également tous les membres du Cercle Zététique pour leur accueil très sympathique
[1] Cf ou revoir à propos de la glossolalie, si vous en avez l‘occasion, deux films magistraux : Les nerfs à vif, de Scorcese (1991), avec De Niro et Nick Nolte (la scène finale est impressionnante) et L’hôpital, de Arthur Hiller (1971) avec George Scott et Diana Rigg. JLB
[2] OZ : Observatoire zététique, basé à Grenoble.
[3] https://journals.openedition.org/communication/858 – https://lesceptique.ca/2015/06/05/la-synergologie-une-discipline-fondee-scientifiquement/
[4] Cf sa prestation, méritoire pour un jeune homme de 15 ou 16 ans : https://www.youtube.com/watch?v=SLAOAYEPYT8
[5] Pour se faire une idée de cette pratique sympathique (qu’on pourrait tout aussi bien appeler « hypnose de rue », et qui n’est peut-être pas dénuée d’ambiguïtés, remarques personnelles de JLB), cf : l’interview de Jean-Emmanuel Combes, qui en est à l’origine (https://www.youtube.com/watch?v=YlmR3dvcmps) et une expérience avec deux jeunnes Toulousaines (https://www.youtube.com/watch?v=W4umQdNsfNQ, mignon mais moyennement convaincant, encore une remarque personnelle de JLB).