Compte-rendu de la séance du 26/5/2018
I – Bibliographie, en lien avec le thème du jour :
La sérendipité, le hasard heureux – Actes du Colloque de Cerisy de 2009, sous la direction de Danièle Bourcier et Pek Van Andel. Editions Hermann Doll.
Sérendipité. Du conte au concept, Sylvie Catellin, Seuil, coll. « Science ouverte » (présentation complète de ce livre sous : https://journals.openedition.org/lectures/15191)
2 textes de Aude Volpilhac et Anne Paveau
II – La sérendipité, présentation d’Alain Neveu
Introduction (réflexion personnelle) : avant Galilée, tout le savoir était là, puisque Dieu, omniscient, détenait l’ensemble de la connaissance. Avec l’arrivée de l’optique astronomique, le fait de pouvoir voir Jupiter et ses deux lunes a changé la vision de l’homme sur le savoir. La révolution scientifique, accompagnée de la démarche scientifique et de l’esprit critique, fait prendre conscience de l’ignorance, stimulant la curiosité et l’imagination.
II – 1) Histoire du mot (donc du concept)
Le mot vient d’un conte persan du XIVe siècle qui relate l’aventure des 3 fils du roi de Serendip (Ceylan). Il désigne avant tout la sagacité, l’importance attachée à l’observation et une forme de bon sens. Ce texte mettra plusieurs siècles à être traduit en français, en anglais et en italien, c’est pourquoi ce mot a une longue histoire.
Des auteurs comme Voltaire (avec notamment son personnage de Zadig) puis Edgar Poe et Arthur Conan Doyle mettent en scène diverses situations qui s’apparentent à une forme de sérendipité, même si tous ces personnages sont bel et bien en recherche de quelque chose (dans certains cas ils ne savent pas quoi). Zadig mentionne d’ailleurs explicitement le « pays de Serendip ».
Diverses formulations témoignent de l’évolution de ce concept : Edgar Poe qui parle de « calculer sur l’imprévu », Horace Walpole qui va définitivement imposer le terme en lui donnant le sens de « sagacité accidentelle » (1751).
Walpole, homme curieux (possédant d’ailleurs un « cabinet de curiosités », autre terme pour désigner un musée privé), imaginatif et rêveur, considére l’intuition comme source de connaissance est sous-estimée à son époque, ce qui l’oppose au rationalisme du XVIIIe. D’ailleurs Voltaire, résolument déterministe, refuse l’idée de hasard, comme le fait également l’Église (parler de hasard c’est insulter Dieu), et les savants vont faire de même pendant longtemps (l’univers est une mécanique bien huilée).
Ce n’est qu’en 1909 que le terme apparaît dans le dictionnaire anglais, comme un mot « factice » inventé par Walpole. Mais il fait son entrée dans la sphère des sciences en 1930, puis dans l’univers conceptuel amené dans les années 50 par Robert Merton : ce dernier, considéré comme le fondateur d’une nouvelle discipline, la sociologie des sciences (on lui doit notamment la notion bien utile de prophétie auto-réalisatrice), découvre par hasard ce terme et l’introduit dans ses propres recherches.
La 2e Guerre mondiale amène un tournant dans la recherche, puisque l’État (notamment les États-Unis) cherche à l’orienter, ce qui, peut-être, réduit l’espace des découvertes imputables à la sérendipité. Mais l’intervention de Fleming, personnalité prestigieuse, plaidant pour une liberté totale de la recherche, permet de rétablir un consensus entre l’État et ses « programmes », d’une part, et les chercheurs eux-mêmes, d’autre part.
En France, le terme francisé de sérendipité (on ne connaît jusque là que la serendipity) apparaît en 1952 dans un article du petit-fils de Charles Darwin qui valorise le « moment » sérendipitien comme celui où le chercheur peut modifier son orientation de recherche. En 1956, le livre « Les Jeux du Hasard et du Génie. Le rôle de la chance dans la découverte », de Fernand LOT, explore ce concept, nouveau dans la mentalité scientifique. Même si on peut sans doute considérer que Pasteur et Claude Bernard ont fait de la sérendipité sans le savoir, et même ont décrit le processus sans le nommer.
Le mot sérendipité ne fait son apparition dans les dictionnaires français qu’en 2011 avec la définition suvante : « découverte faite par hasard, ou découverte de quelque chose que l’on ne cherchait pas. »
II – 2) Quelques exemples, qui ouvrent la discussion (s’agit-il réellement de sérendipité ?) :
- Velcro
- Caoutchouc
- Pénicilline (pas vraiment de la sérendipité, il cherchait un autre antibiotique)
- Découverte de l’Amérique par Colomb (repris dans la discussion car Christophe Colomb cherchait effectivement ce qu’il a trouvé).
Anthony Van Leeuwenhoek (milieu du XVIIe) invente le microscope en polissant des billes de verre. Puis il utilise son nouvel instrument pour étudier le poivre, pensant découvrir que les grains de cette épice sont hérissés de minuscules piquants. A sa grande surprise, il découvre des corpuscules mobiles de très petite taille, ce qui le conduira à découvrir les bactéries, les spermatozoïdes, et ainsi à engager le processus qui permettra deux siècles plus tard d’en finir avec la théorie de la génération spontanée.
William Hallsted, chirurgien américain (1852-1922), applique la pasteurisation, systématise l’aseptisation des blocs opératoires par la nébulisation du phénol, et en vient à demander à Goodyear, qui vient d’inventer la vulcanisation du caoutchouc, de mettre au point des gants très fins destinés à servir de « deuxième peau » pour protéger les mains de son assistante (et future épouse). C’est le bien-nommé Bloodgood, également assistant de Halsted, qui géréralisera l’utilisation des gants en caoutchouc en chirurgie et médecine (éliminant ainsi presque totalement la mortalité, jusque-là très forte, qui sévissait dans les blocs opératoires).
Pierre Berloquin, inventeur de jeux, précise ce qu’est la sérendipité à partir de sa propre expérience (1977) qui le conduit à mettre au point un jeu commercialisé sous le nom de Chronos, dont les pièces sont des sabliers renversés à chaque déplacement.
Henrietta Leavitt, astronome américaine, découvre la relation période/luminosité des étoiles observées et analysées, ce qui permettra par la suite d’évaluer les distances des galaxies entre elles et rendra possibles toutes les avancées attachées au nom de Hubble.
Stanislas Baudry, officier napoléonien en demi-solde, crée à Nantes en pleine Restauration une minoterie à vapeur, qu’il a l’idée de reconvertir partiellement en établissement de bains-douches. La distance à laquelle il se trouve de la ville l’oblige à mettre au point un système de transports collectifs par navettes attelées, lesquelles partent de la boutique du chapelier Omnès. Ces navettes deviendront des omnibus. (Attention, le véritable précurseur des transports en commun est Blaise Psacal avec ses carrosses à 8 places et à 5 sols mis en place à Paris entre 1662 et 1677. Cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Omnibus. JLB).
On peut imaginer que les objets qui ont permis à l’homme de se faciliter peu à peu la vie sont liés à des formes de sérendipité :
- La poterie
- L’épieu à pointe durcie au feu,
- Le silex taillé
Il faut aussi dire un mot des fausses découvertes
- Percival Lowell sur la planète Mars (les canaux), illustration de l’idée que parfois « on ne voit que ce que l’on veut voir ».
- Mémoire de l’eau (Benveniste + M. et Mme Bastide, pharmaciens montpelliérains)
Un exemple étonnant : la boussole de Oersted, qui conduit par hasard à la découverte de l’électromagnétisme. Par hasard ? La question se pose, car la boussole ne se trouvait peut-être pas là « par hasard ». C’est aussi ce que semble suggérer Pasteur lorsqu’il dit à propos de cette même expérience : « dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés. » Pour comprendre de quoi il s’agit : https://www.youtube.com/watch?v=n7EWhEYOa0o
En fait la question : « s’agit-il vraiment de sérendipité », au sens que l’on donne à ce mot, se pose à peu près systématiquement.
- Fleming cherchait un antibiotique et découvre la pénicilline. Sérendipité ? Comme le précisera la discussion plus tard, le fameux « halo » exempt de staphylocoques autour de la moisissure avait déjà été constaté. Mais c’est bien Fleming qui a su isoler cette zone et en extraire la substance qu’il nomme pénicilline, sans être capable sur le moment de la stabiliser et d’en tirer un traitement utilisable : il faut encore attendre 15 ans ans pour atteindre ce résultat et l’appliquer notamment aux blessures de guerre. (Pour en savoir plus, cf comme souvent la fiche Wikipedia « découverte de la pénicilline », très complète).
Le fait est en tout cas que ce même Fleming a pris argument de cette coïncidence pour affirmer le besoin de liberté des chercheurs, avec le raisonnement suivant : « on ne peut pas planifier la recherche fondamentale, pas plus qu’on ne peut programmer l’art ou la littérature, car les grandes découvertes se nourrissent de l’inattendu. »
- Goodyear, lui, cherchait un moyen de stabiliser le caoutchouc, sa découverte accidentelle n’est donc peut-être pas à regarder comme de la sérendipité.
Sans oublier l’exemple d’Hedy Lamarr, dite à son époque « la plus belle femme du monde », qui est à l’origine d’une contre-contre mesure rendant plus efficace les torpilles lancées contre les bateaux allemands pendant la seconde Guerre mondiale.
(En fait un coup d’œil sur sa biographie nous apprend qu’elle avait une formation scientifique et que ses talents d’actrice n’ont pas plus de place dans cette découverte que le hasard. Vérification à la page suivante : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/hedy-lamarr-torpilles-gps-et-glamour
Mais il est vrai que l’anecdote, charmante au demeurant, pose la question de la place des femmes dans la science, qui fera l’objet d’une communication lors de notre Université d’automne. Commentaire de JLB)
I -3) Pourquoi la sérendipité ? En d’autres termes, quel est l’intérêt de cette notion ?
La réflexion autour de la sérendipité permet d’éclairer le débat entre les tenants d’une science qui se veut libre, tout entière vouée à l’élaboration des connaissances, et une science dirigée, utilitariste, débouchant notamment sur des applications industrielles ou militaires. Ce débat est porté entre les deux guerres par le physicien Jean Perrin et le chimiste Henri Le Chatelier, introducteur du taylorisme en France. On peut considérer que c’est l’approche de Jean Perrin qui prend le dessus et aboutira dès 1939 à la création du CNRS, lequel pourra se développer réellement une fois refermée la parenthèse vichyssoise.
Ce débat est toujours actuel, au point que lors des Assises Nationales des Etats Généraux de la Recherche de Grenoble (27-29 octobre 2004), ce dualisme est réaffirmé, et l’argument de la sérendipité est utilisé pour discréditer les programmes de recherche dirigée et planifiée en fonction d’objectifs pré-définis. S’il est vrai que les citoyens attendent de la recherche qu’elle propose des solutions à des problèmes allant du chômage de masse au cancer en passant par la pollution et l’épuisement des ressources énergétiques, le chemin qui conduit vers ces solutions n’est pas aussi direct que pourrait le laisser croire une vision programmatique de la recherche.
Une image illustre bien cette tension rentre recherche « dirigée » et recherche « libre » : l’électricité n’a pas été inventée en cherchant à perfectionner la bougie.
Conclusion :
La sérendipité est un dialogue entre la raison et l’imagination. Des prix reconnaissent d’ailleurs la légitimité de ce dialogue :
- Le Serendipity Prize (créé en 2003)
- Les Serendipity Awards (créées en 2009)
Il s’agit en tout état de cause d’un concept trop polymorphe pour qu’on puissen en donner une définition faisant autorité. Le fait que ce concept soit invoqué aussi fréquemment signale un besoin de revenir à une forme imaginative, pré-disciplinaire, peut-être artistique, de la recherche. Ce à quoi s’ajoute le rejet de la tendance à la privatisation de la recherche et de l’enseignement, laissant planer le soupçon d’une volonté de « rentabiliser » l’effort de recherche, vision jamais très bien acceptée au moins en France.
Quelques phrases de grandes figures de la recherche scientifique permettent de nourrir cette discussion : « Le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère » (Théodore Monod), ou encore : « la sérendipité, c’est comme si on recherchait une aiguille dans une meule de foin et qu’on en ressorte avec la fille du paysan » (J-H Comroe, spécialiste de la physiologie de la respiration).
Reste cette question, soit angoissante, soit stimulante : « saurons-nous faire preuve de sérendipité le jour où nous serons confrontés à un phénomène extraordinaire ? »
III – Discussion
(Rappel systématique : comme chaque fois, je regroupe certaines interventions, sans citer de noms, et sans prétendre à une restitution exhaustive ; il s’agit de rendre compte des principaux points abordés dans la discussion. Certaines questions, remarques ou interventions sont parfois difficiles à reproduire et cette restitution n’a pas la prétention d’être un procès-verbal intégral. Cette séance n’a malheureusement pas pu faire l’objet d’un enregistrement, Philippe Monnin étant en déplacement et absent ce jour-là. Les réponses d’Alain sont notées R. JLB)
Remarque : la sérendipité concerne tout particulièrement le monde de la médecine et de la pharmacie. On peut citer de nombreux exemples, pas nécessairement classés sous la rubrique « sérendipité » :
- Les corticoïdes
- Le Viagra
- Le Minoxydil (contre la chute des cheveux)
Cela pose la question suivante : s’agit-il vraiment de hasard ? On a les effets pharmacologiques sous les yeux, on les voit ou non, c’est une question de temps. En médecine, il n’y a pas vraiment de chance ou de hasard, il y a des essais. Exemple de l’épigénétique : c’est connu et travaillé.
D’ailleurs, lorsqu’un médicament trouve une application différente de celle qui était envisagée, ce n’est pas un exemple de sérendipité, cela fait partie de la recherche clinique où on est à l’affût des évènements secondaires.
La sérendipité, ou ce qu’on analyse comme telle, amène aussi à de fausses découvertes mais qui s’imposent quand même. L’exemple donné est celui de l’oscillococcinum. Les effets thérapeutiques étaient inexistants, mais le produit s’est imposé quand même comme une application du principe de similitude en homéopathie.
Remarque : avoir un programme de recherche n’est pas complètement idiot, c’est cela qui permet de trouver des choses qui ne sont pas dans le programme. D’ailleurs, la recherche systématique (qui conduit à « ratisser large » comme dans le cas du criblage à haut débit) aboutit aussi à des effets alors même qu’elle se situe à l’inverse de la sérendipité. C’est donc un argument en faveur de la recherche dite « dirigée », qui s’ajoute au fait que d’une manière ou d’une autre c’est l’argent public, (ou l’argent du public), qui la finance. D’autant que le principe selon lequel un chercheur, même financé sur objectifs, dispose quand même d’une marge de liberté, n’est remis en cause par personne. En fait la frontière recherche appliquée/recherche fondamentale n’est pas si précise.
Question : l’art n’est-il pas un domaine où la sérendipité est à l’œuvre ?
R : oui, cf l’exemple de Marcel Duchamp.
D’ailleurs, la remarque est faite de la place croissante accordée à la créativité dans les procédures de recrutement, en plus de la compétence stricto sensu.
Question : cette réflexion sur la sérendipité ne pourrait-elle trouver des prolongements en pédagogie ? On laisse croire aux enfants que tout dérive d’un raisonnement ou d’un calcul. Peut-être qu’une éducation à (ou par ?) la sérendipité serait une bonne chose, et prendrait le sens d’une formation à l’esprit critique.
R : oui, voir l’exemple de l’étude du poivre et des raisons pour lesquelles « il pique ».
Discussion autour de la RU 486 ou pilule du lendemain. S’agit-il d’une découverte faite par hasard ? Peut-être pas, puisqu’il s’agissait d’une recherche sur les hormones qui était vouée à aboutir d’une manière ou d’une autre.
Question : sur la sérendipité et l’Intelligence artificielle. N’est-il pas nécessaire que les connexionnistes et les probabilistes travaillent ensemble ? Cela pourrait constituer un thème intéressant de réflexion pour le CZLR.
R : d’une certaine manière, les mutations qui interviennent dans la nature ressemblent à ça, dans la mesure où elles résultent de l’introduction du hasard dans des processus « naturels », au sens de « déterminés ».
Remarque en réaction : tout effort de recherche comprend une forte dose d’ingéniosité, plus que de hasard. Exemple à propos des mutations dites naturelles : ce n’est qu’avec la découverte de l’ADN qu’on comprend l’évolution. Le fait qu’il y ait très souvent (peut-être toujours ?) une part de hasard ne signifie pas nécessairement qu’on soit en présence de sérendipité.
Remarque : on pourrait mettre presque toute la recherche fondamentale dans la sérendipité, et ce serait une erreur, car le travail du chercheur est avant tout de collecter et d’interpréter des données. On en a un exemple avec ce qu’on appelle les « Big data », qui ne sont rien d’autre que l’application de techniques statistiques pour mettre en évidence quelque chose, en mobilisant la fantastique puissance des outils modernes (cela renvoie à nouveau au « ratissage large » et au criblage à haut débit). Il ne faut donc pas surinterpréter la sérendipité.
D’ailleurs, s’il est vrai qu’il y a du hasard, on trie ensuite et et on cherche la signification. C’est cette phase de tri qui est la plus importante. Aujourd’hui, on séquence massivement. Il y aura donc forcément des découvertes qu’on ne connaît pas aujourd’hui. On observe, on décrit, puis on fait des hypothèses (donc pas de hasard là-dedans). L’important, c’est l’évaluation, a priori ou a posteriori.
On en a un exemple avec la découverte de Pluton. On avait bien repéré les anomalies de trajectoire des autres planètes, mais on ne savait pas les interpréter, jusqu’à ce que l’hypothèse d’une neuvième planète dans le système solaire se vérifie.
Question : la sérendipité s’applique-t-elle à l’histoire ? En fait assez peu, cela tient à la nature particulière de cette discipline. Néanmoins on peut considérer que l’apparition même du terme de préhistoire, à force de trouver des choses qu’on ne cherchait pas, est une forme de sérendipité. Même chose pour le caractère mythologique des Cathares, qui a fait l’objet d’une communication au CZLR : cela ne correspondait pas nécessairement à un programme de recherche, mais c’est apparu sans qu’on s’y attende.
Quant à l’archéologie, on sait que les « découvertes » (on emploie le terme d’« invention ») sont toujours le fait de spécialistes d’une manière ou d’une autre. L’exemple de la grotte Chauvet le prouve (il en est de même pour la grotte Cosquer, et Lascaux a été découvert par hasard par des enfants, mais c’est l’abbé Broglie, passionné et spécialiste de paléontologie, qui a donné sens à cette découverte JLB).
R : on peut redéfinir la sérendipité à partir d’une phrase du petit-fils de Charles Darwin : « il faut accepter l’idée que la réorientation d’une recherche puisse être plus intéressante que ce qu’on cherchait au départ. »
Remarque : le conte des trois fils du roi de Serendip, qui est à l’origine du mot, renseigne plus sur l’importance de l’observation et du bon sens que sur la place du hasard dans la découverte scientifique. En fait, la coïncidence n’existe que si l’évènement prend sens après coup. D’ailleurs, toujours à propos de ce conte, on peut supposer sans se tromper que la capacité à lire les traces animales est certainement très ancienne, puisque l’efficacité de la chasse en dépend pour les chasseurs cueilleurs qu’ont été nos ancêtres jusqu’à une date récente. La sérendipité n’a donc rien à voir là-dedans.
Remarque qui contredit en partie l’analyse d’Alain selon laquelle ce conte est à l’origine du mot parce qu’auparavant on n’avait pas forcément cette curiosité : en fait toute l’histoire de la science, qui remonte au moins à 25 siècles (sans doute plus), montre que la curiosité et l’expérimentation sont très anciennes malgré les inhibitions liées notamment aux religions. Si on prend l’exemple de l’enquête policière scientifique, on voit que la recherche d’indices, de traces pouvant servir de preuve, est beaucoup plus ancienne que l’apparition de la police scientifique moderne.
La conclusion de la discussion est que, si l’on n’y prend pas garde, la sérendipité risque d’être un terme fourre-tout qui ne désigne pas un phénomène spécifique (puisque c’est le propre de l’être humain que d’être ouvert). En fait on pourrait dire que toute la réflexion autour de la sérendipité ramène à l’idée simple selon laquelle il existe de bons chercheurs (capables d’être curieux et de réorienter leur recherche si besoin est) et de « mauvais » chercheurs, qui resteraient à tout prix crispés sur la vérification de leur hypothèse ou la réalisation de leur programme de recherche.
D’où l’importance du mot comme signe de cette liberté de la recherche.
Jean-Luc Bernet, d’après ses propres notes et celles d’Alain Neveu.