Anne Perrin s’est d’abord attachée à distinguer les deux notions, souvent confondues par le grand public, de risque et de danger. Ensuite, des notions de base ont été rappelées, telles que les caractéristiques des rayonnements, la distinction fréquence/longueur d’onde, rayonnements ionisants/non ionisants, les niveaux de preuve, l’évaluation scientifique du risque, etc. Quelques rappels fondamentaux ont été faits sur la science, notamment pour éviter la confusion courante corrélation/causalité, dont on peut trouver, à titre de caricature, de nombreux exemples sur plusieurs sites, à commencer par celui-ci : https://www.tylervigen.com/spurious-correlations. D’autre part, Anne Perrin rappelle cette évidence, à savoir qu’on ne peut pas prouver que quelque chose n’existe pas. Et que par conséquent, les scientifiques ne feront jamais la démonstration qu’un risque n’existe pas, quel qu’il soit.
La compréhension de ces notions est indispensable si l’on veut aborder correctement le sujet et comprendre également la manière dont sont établis les seuils réglementaires (seuil effets avérés / seuil professionnel / seuil public, lequel est inférieur d’un facteur 50 à celui des effets avérés).
L’effet thermique, dû à l’échauffement causés par les radiofréquences est connu depuis longtemps. Il survient à partir d’un certain niveau d’exposition et peut représenter un risque. De ce fait, les niveaux d’exposition de la population sont réglementés par le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 (0 à 300 GHz), pris en application de la recommandation européenne n°1999/5/CE du 9 mars 1999. Ce décret est accessible sous https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000226401: sa lecture, quoique très technique, donne une foule d’éléments de compréhension de la question.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000226401
Des milliers d’études relatives aux effets biologiques et sanitaires des radiofréquences ont été faites depuis une trentaine d’années (plus de 4000 en 2019 d’après la base de données EMF-portal). L’objectif de ces travaux est de rechercher s’il existe d’autres effets que les effets thermiques, à faible niveau d’exposition. A. Perrin note qu’il serait trop long d’en faire un compte-rendu dans la conférence. Par ailleurs, le fait qu’une étude soit publiée ne garantit pas sa qualité, et dans tous les cas, les résultats doivent être confirmés par d’autres études. Pour connaitre l’état des connaissances et se faire une opinion, le plus sûr est donc de se référer aux rapports d’expertise collectives qui prennent en compte la totalité des études scientifiques publiées et en font une analyse rigoureuse, notamment en ce qui concerne leur qualité méthodologique. En France l’Anses produit régulièrement des rapports d’expertises sur les radiofréquences (2005, 2009, 2013, 2016), la communication qui les entoure ne rend pas toujours compte de leur contenu de façon claire mais ces rapports sont tous accessibles en ligne et contiennent beaucoup d’informations.
A ce jour, la totalité des rapports d’expertise produits sur les effets des ondes électromagnétiques de type radiofréquences ont conclu à l’absence d’effet sur la santé en dessous des seuils autorisés par la réglementation. Seul le rapport « BioInitiative » parvient à des conclusions contraires, mais il ne s’agit pas d’un rapport d’expertise collective bien que souvent présenté comme tel (on pourra consulter à ce propos la page Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bioinitiative).
La question de la cancérogénicité fait toujours l’objet d’attention. Les radiofréquences ont été classées comme cancérigènes possibles en 2011, tenant compte notamment des résultats de l’étude Interphone (voir plus loin). L’intervenante rappelle quelques notions indispensables relatives au classement du CIRC, très souvent invoqué de manière partielle pouvant induire en erreur : seul le classement en catégorie 1 (cancérogénicité avérée, démontrée) renvoie à un réel danger. Le risque dépendra ensuite des conditions d’exposition/d’utilisation. Par exemple on trouve dans cette catégorie des substances dont la dangerosité ne fait de doute pour personne et dont l’usage doit être encadré ou interdit selon les cas. Certaines sont pourtant d’usage courant (alcool, tabac), d’autre maintenant interdites (amiante) ; on y trouve aussi les poussières de bois, la viande transformée (charcuterie). Ce qu’il faut retenir, c’est que cette classification rend compte des connaissances sur le caractère cancérigène d’un agent en termes de niveau de preuve scientifique (Groupe 1-cancérigène avéré, 2A-probable, 2B-possible, 3-inclassable), mais ne classe pas le risque qui, lui, dépend du niveau d’exposition. (site internet du CIRC : https://www.iarc.fr/).
Traitant plus particulièrement de la téléphonie mobile, l’étude Interphone a concerné des personnes atteintes de tumeurs cérébrales dans 13 pays pour lesquelles l’exposition a été estimée en temps passé au téléphone sur une période de 10 ans (étude citée à plusieurs reprises dans Science et Pseudo-sciences). Les auteurs n’avaient pas conclu pas à l’existence d’un risque de gliomes, neurinomes et méningiomes dû à l’utilisation normale des téléphones portables. Des doutes dans l’interprétation des résultats pour la durée d’utilisation la plus longue ont encouragé la poursuite de travaux de recherches concernant le gliome pour les utilisations intensives du téléphone portable.
Ces données sont souvent mises en avant dans le débat public. Toutefois, il convient d’être vigilant quant aux sources d’informations que l’on peut trouver sur internet, qui peuvent être trompeuses (voir par exemple l’article de J. Estève http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1856, ou encore l’analyse des argumentaires publiée par Que Choisir http://www.quechoisir.org/telecom-multimedia/decryptage-ondes-electromagnetiques-l-argumentaire-des-associations-passe-au-crible).
Depuis, des études d’incidence visant à suivre le nombre de nouveau cas de tumeurs ou cancers au fil des années ont été menées dans plus d’une dizaine de pays. Elles n’ont pas montré de lien entre l’usage du téléphone mobile et ces pathologies, notamment le gliome, au cours des dernières décennies. (cf. note de lecture sur une de ces études dans la partie bibliographie)
Concernant l’électrosensibilité, ou hypersensibilité électromagnétique, Anne Perrin rappelle que de nombreux témoignages sont rapportés par la presse et dans les médias, mais qu’il n’a jamais été possible de démontrer qu’un champ électromagnétique en était la cause dans des expériences conduites en double aveugle. L’OMS reconnaît qu’il existe bien des intolérances environnementales idiopathiques, cad attribuées à l’environnement par les patients mais d’origine inconnue (sens du terme idiopathique), et que l’hypersensibilité électromagnétique en fait partie (voir la fiche OMS 2005 : http://www.who.int/peh-emf/publications/facts/fs304/fr/). Cela signifie que la souffrance des personnes est reconnue, sans que la cause des symptômes puisse être imputée aux rayonnements électromagnétiques. L’Anses a produit un rapport documenté sur ce sujet en 2018 parvenant aux mêmes conclusions (https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2011SA0150Ra.pdf).
En conclusion de son exposé, Anne Perrin invite à se tourner vers des sources d’information fiables comme les instances sanitaires ou de radioprotection (OMS, ICNIRP, Anses, SCHENHIR (comité européen devenu Scheer), SFRP, Santé Canada,…) ou encore l’Agence Nationale des Fréquences concernant le respect de la réglementation et les niveau d’exposition (ANFR : https://www.anfr.fr/accueil/). Cette dernière fournit entre autres une carte de l’emplacement des antennes-relais et des mesures qu’elle a effectué sur https://www.cartoradio.fr/index.html#/.
L’humour n’étant jamais de trop, même (surtout, devrait-on dire) sur des sujets sérieux, Anne Perrin rappelle qu’une conclusion de la Commission nommée par Louis XVI pour étudier ce qu’on appelait à l’époque le magnétisme animal (diffusé notamment par le célèbre Anton Mesmer), était : « que l’imagination sans magnétisme produit des convulsions, et que le magnétisme sans imagination ne produit rien » (cf. http://pierre.aubriet.free.fr/index.php?article124/1784-le-rapport-lavoisier).
Et si on veut en savoir plus non pas sur le magnétisme animal au sens mesmérien mais sur l’effet des ondes sur les animaux (argument parfois invoqué pour dénoncer la dangerosité de notre environnement électromagnétique), on peut se référer à l’excellent article d’Anne Perrin paru dans Contrepoint sous le titre Antennes relais, veaux, vaches, cochons, couvées… et lapins !, consultable à l’adresse suivante : https://www.contrepoints.org/2019/02/13/337073-antennes-relais-veaux-vaches-cochons-couvees-et-lapins).
Ouvrage et quelques écrits d’Anne Perrin en lien avec le sujet (entre autres) :
– Champs électromagnétiques, environnement et santé, Anne Perrin et Martine Souques.
Éditeur EDP Science, oct. 2018 (2ième version). Cf. présentation de l’ouvrage sous https://laboutique.edpsciences.fr/produit/1039/9782759822591/Champs%20electromagnetiques%20environnement%20et%20sante
– Éléments de réflexion sur l’hypersensibilité électromagnétique et les intolérances environnementales idiopathiques, A. Perrin, Environnement, risque et santé, mai 2017 (p.112-7)
– Médiatisation d’un jugement en faveur d’un électrosensible : à qui profite vraiment le buzz ? Anne Perrin & Martine Souques – 19.11.2018
– Téléphone mobile et tumeurs cérébrales, quoi de neuf ? Science et pseudosciences n° 328, avril 2019
https://www.afis.org/Telephone-mobile-et-tumeurs-cerebrales-quoi-de-neuf
Ondes électromagnétiques, comment s’y retrouver dans l’information – Science et Pseudosciences, 2009 https://www.pseudo-sciences.org/Ondes-electromagnetiques-comment-s-y-retrouver-dans-l-information. –
– Comment combattre les pseudoscientifiques, fabricants d’intox ? 2017, La Tribune
Ainsi que la conférence donnée à la Bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble le samedi 22 avril 2017 : https://cinevod.bm-grenoble.fr/video/ZDJGB-faut-il-avoir-peur-des-ondes
II – Discussion
Comme toujours, le compte-rendu qui suit n’est qu’un résumé non exhaustif des principaux échanges et non une retranscription intégrale. Les § marqués « R » sont les réponses ou précisions de l’intervenante.
Question : à propos des effets de seuil, peut-on dire que dans une maison par exemple les expositions dues aux différents appareils se cumulent ?
R : non car les ondes émises par plusieurs sources ne sont pas en phase et donc ne s’additionnent pas. Les expériences faites lors du déploiement de la 4G avaient confirmé de manière factuelle que l’augmentation du niveau d’exposition ambiant n’est pas proportionnelle au nombre d’émetteurs.
(voir par exemple http://www.radiofrequences.gouv.fr/IMG/pdf/questions_-_reponses_sur_les_antennes_relais_web_-1.pdf)
Question : à partir de quand atteint-on un seuil de dangerosité, comme par exemple avec la 5G ? Y-aura-t-il plus de risques avec la 5G ?
R : qu’est-ce qui augmentera en passant à la 5 G ? Elle va utiliser des fréquences allant de 700 MHz à 3,5 GHz environ, puis plus tard au-delà. Des fréquences abandonnées par la télévision, ou d’autres technologies qui ne sont plus utilisées, pourront être réaffectées à la 5G. La nouveauté sera l’utilisation de fréquences plus hautes, dites millimétriques, vers 26 GHz. Ces ondes sont arrêtées plus facilement, d’où la nécessité d’avoir des antennes plus proches. Les antennes seront différentes, il s’agira d’antennes MIMO (Multiple-Input Multiple-Output) qui vont orienter le faisceau plus directement vers l’appareil qui sollicite une communication. Pour en savoir plus, voir le site de l’ANFR (voir aussi des vidéos explicatives, par ex. cette vulgarisation https://www.youtube.com/watch?v=aOFuWWnJFNc, ou un peu plus technique, en anglais https://www.youtube.com/watch?v=xGkyZw98Tug). Question santé, il s’agit toujours de la gamme des radiofréquences et la même réglementation s’applique afin de rester toujours en dessous des seuils d’échauffement (effet « thermique »). Voir la vidéo des Décodeurs du Monde à propos des rumeurs qui entourent la 5G : https://www.youtube.com/watch?v=v1hAE9aLZIY
Par ailleurs, nombre d’arguments étaient similaires au moment du passage de 2G à 3/4G. Le sujet dans son ensemble est complexe, les enjeux et représentations qui l’entourent sont multiples – les questions de société ne devraient pas être réglées en renvoyant tout sur les problématiques de santé.
Question : ne faudrait-il pas être plus explicite concernant les risques « indirects » évoqués dans l’exposé ? Il y a notamment la question de la pollution numérique (induite par la consommation d’énergie), ainsi que le risque de perturbation des prévisions météorologiques, les fréquences de la 5G étant les mêmes que celles qu’émet la vapeur d’eau.
R : Il était question au début de l’exposés des risques indirects dus à certains rayonnements, comme les risque d’interférences avec des appareils médicaux (pour lesquels il y aussi une réglementation et des normes) ou de risque d’effets projectiles dans un fort champ magnétique. Et concernant l’usage du téléphone, des risques collatéraux (accident de voiture, de selfie, et autres…). Concernant la pollution numérique, A. Perrin ne s’estime pas compétente sur ces questions mais pense que les instances qui gèrent l’attribution de fréquences ont pour rôle de régler ce type de problème et juge peu probable que l’on sacrifie la prévision météo à la 5G sans prendre en, compte ce risque. (cf. quelques éléments de réponses dans ce décryptage https://www.20minutes.fr/planete/2524079-20190524-5g-risque-perturber-previsions-meteo)
Question : Dans votre introduction, vous avez bien dit que les rayonnements ionisants sont une catégorie importante du spectre électro-magnétiques ; or vous n’avez plus parlé ensuite de leurs effets, alors que les biologistes s’accordent sur leurs dangers … et que ces dangers du nucléaire ont été débattus il y a une trentaine d’années dans des termes qui rappellent les débats actuels sur les effets des rayonnements non ionisants …
D’autre part, pourquoi, dans vos critères de sélection des « bonnes » ou « mauvaises » publications sur ce sujet, n’avez-vous pas mentionné les conflits d’intérêt ? Alors que, par exemple pour les téléphones portables, des publications ont montré que les travaux niant ou minimisant les effets étaient en partie financés par des opérateurs de ce domaine ?
R : effectivement, comme indiqué l’intervention était limitée à la discussion des effets des radiofréquences qui font partie des rayonnements non ionisants.
Quant aux études, il ne faut pas oublier que les études sur les effets des champs électromagnétiques coûtent cher, un financement trop étriqué peut se répercuter sur les résultats : les études mal financées sont de moins bonne qualité, et ont davantage de chance de montrer un effet dû à un biais notamment parce que l’exposition n’est pas maitrisée faute de moyens. Contrairement à une idée reçue, les études financées par les opérateurs se sont avérées être plutôt de bonne qualité. C’est ce qu’avait montré un article de revue en prenant en compte le financement des études mais aussi leur qualité. En France cela fait longtemps que les opérateurs ne financent plus directement des recherches. C’est la robustesse de la méthodologie qui compte avant tout quand on analyse une étude.
Question : à propos d’une antenne en cours d’installation en face de chez moi, qu’en est-il du risque ? Et pour les personnes vivant dans les étages situés en-dessous d’une antenne située sur leur toit ?
R : où que l’on soit les niveaux d’exposition sont très inférieurs aux valeurs de référence réglementaires et il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour sa santé. Ensuite, ce n’est évidemment pas agréable de voir apparaitre une antenne en face de chez soi. Par contre, le téléphone mobile émet moins lors d’une conversation s’il est proche d’une antenne. Ceux qui ont une antenne sur leur toit sont beaucoup moins exposés par cette antenne –là, que ceux qui sont dans l’axe du faisceau, car il n’est pas orienté
Notes de Jean-Luc Bernet, revues et complétées par Anne Perrin