Agriculture et alimentation : des choix mal éclairés

Conférence présentée en visio conférence le 6 février 2021 par Alain Caumont, agronome, membre du cercle Zététique,

Le compte rendu textuel du débat questions réponses et le Powerpoint utilisé en support de la conférence sont visibles ci-dessous (cliquer sur le lien suivant).

Accéder au Powerpoint de la présentation avec le lien ci-dessous

Le débat questions réponses

Résumé non exhaustif du débat reprenant quelques-uns des principaux points en discussion. On peut se reporter à l’enregistrement vidéo ci-dessus pour retrouver les propos exacts apportés par chacun.

Remarque, et compléments d’information sur la question de la propriété foncière : Il est fait mention du GFA (Groupement Foncier Agricole), mais également du GAEC Groupement agricole d’exploitation en Commun), deux formules à côté de bien d’autres, qui existent depuis longtemps et permettent de régler cette question sans la faire peser sur les seuls agriculteurs (ce terme étant employé en alternance avec exploitant ou paysan tout au long de la discussion). Alain considère que « l’agriculture, c’est comme l’industrie lourde », comprendre : lourds investissements nécessaires, rentabilité faible. D’où la nécessité d’apports qui soient aussi la marque d’un certain militantisme.

Question : demande d’explications complémentaires sur une citation de la Fédération nationale de l’Agriculture biologique, à savoir « le développement économique de la filière bio tend à compromettre l’alternative sociétale ».

Réponse : C’est une manière de constater que les promoteurs du bio acceptent, en échange de leur meilleure intégration dans les mécanismes du marché, de perdre un peu de leur caractère « alternatif » (ce que regrettent les « puristes ») en même temps d’ailleurs que les filières « traditionnelles » (production ou distribution) s’approprient certaines caractéristiques jusque-là réservées au bio.

Remarque : s’il a été question de « valeurs » tout au long de l’exposé, la première des « valeurs » de l’agriculture est bien celle qui consiste à nourrir l’humanité, ce qu’elle parvient à faire de mieux en mieux, alors même que le souvenir des famines et de la sous-alimentation d’une majorité de l’humanité est encore frais.

Réponse : Oui mais l’approche globale de cette question de « comment nourrir les peuples » s’est modifiée. La question de l’autosuffisance est redevenue primordiale, tant il est vrai que « nourrir les autres, c’est les asservir ». Au-delà même de l’expérience de la colonisation, qui illustre parfaitement cette analyse, le concept d’« arme alimentaire » a pu être un des ingrédients de stratégies géopolitiques.

L’exemple de Cuba est évoqué, mais relève d’une situation particulière, celle d’un asservissement volontaire à un seul client pour le sucre, en échange de ressources autres (notamment le pétrole), le tout dans une visée stratégique, à savoir le renforcement d’une position de menace à 170 km des côtes américaines.

Mais il est vrai que globalement, la faim réapparaît principalement en lien avec des situations de guerre, beaucoup plus qu’avec des problèmes d’organisation locale de la production.

Question : la reconversion d’une partie de l’agriculture autour des bio-carburants constitue-t-elle une perspective réaliste et intéressante, y compris en termes écologiques ?

Réponse : on en est revenu, le bilan énergétique est le plus souvent mauvais. Le seul pays qui s’est engagé massivement dans cette voie (éthanol à partir de la canne à sucre) est le Brésil, au prix de dégâts considérables.

Question : puisqu’il semble qu’on soit, en France, assez nettement importateurs de produits bio, de quoi s’agit-il le plus souvent ?

Réponse : principalement de fruits et légumes, produits à moindre coût et selon un calendrier plus favorable, notamment en Espagne.

Question : comment comprendre l’évolution des structures du marché des produits alimentaires ?

Réponse : c’est flagrant. 10 centrales d’achat imposent leurs prix, y compris aux poids lourds de l’agro-alimentaire, lesquels se retournent ensuite vers les producteurs directs. La question des rapports de force entre acteurs (et de leurs modes d’organisation respectifs) est donc essentielle.

Question : que devient la FAO ?

Réponse : son pouvoir effectif est à l’image de celui de l’ONU dont elle est une agence, à savoir réel, mais faible. La FAO continue de produire des rapports d’expertise très utiles.

Remarque : nous avons peut-être tendance en France à nous poser des questions sans mesurer notre situation privilégiée, ce qui peut conduire à refuser des opportunités. Un exemple est donné : celui d’un projet d’une certaine importance, destiné à accueillir 1200 veaux broutards, rejeté par l’environnement immédiat. Or le projet paraît quantitativement important, mais il est pensé en fonction d’un cahier des charges écologiques très rigoureux (emprise foncière adaptée, récupération de déchets, autonomie énergétique), et occupe un créneau non occupé en France, qui exporte ses broutards en Italie et réimporte le produit fini. Les réflexes NIMBY existent aussi en agriculture.

En conclusion, quelques commentaires généraux d’Alain :

  1. Signaler les positions « extrêmes », dans un sens comme dans l’autre, ne doit pas faire oublier que des voies « moyennes » peuvent être trouvées. Exemple : celui d’une agriculture qui se veut « écologiquement intensive ».
  2. Mais les effets pervers existent et démontrent la nécessité de procédures de régulation. Les recours en justice ont donc toute leur valeur, même s’ils retardent des projets (exemple du projet de ferme à broutards, qui a eu gain de cause, mais les opposants vont en cassation).
  3. Il est vrai que notre système libéral, basé sur l’économie de marché, présente une bonne capacité d’adaptation et même, peut-on dire, d’absorption. Et globalement, il pousse à « gagner de l’argent ».

Biblio-sitographie

1 – A propos de Niklas LUHMANN : Rabault, Hugues. « Théorie des systèmes : vers une théorie fonctionnaliste du droit », Droit et société, vol. 86, no. 1, 2014, pp. 209-226. Consultable : https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2014-1.htm . LUHMANN Niklas , 2011 Systèmes sociaux : Esquisse d’une théorie générale. Presses Université Laval. Aussi Aristote, Ethique à Nicomaque.

2 – Spot publicitaire « nous n’avons pas les mêmes valeurs » : https://player.ina.fr/player/embed/PUB687394040/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1’%20allow=’fullscreen,autoplay

3 – Schwartz, Shalom H. « Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications [*] », Revue française de sociologie, vol. vol. 47, no. 4, 2006, pp. 929-968. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-4-page-929.htm

4 – Kahle Lynn , professeur de marketing à l’Université du Michigan, dans Social Values and Social Change (1983) cité par https://outilspourdiriger.fr/culture-et-valeur/

5 – Ronald Inglehart et Christian Welzel. Carte culturelle du monde, actualisée 2020. D’après http://www.worldvaluessurvey.org/wvs.jsp voir aussi http://valeurs.universelles.free.fr/approches.html

6 – Institut National Consommation https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/2020-10/0900004041705.pdf

7 – Hyperconsommationhttps://revuelimite.fr/philippe-moati-lhyperconsommation-est-a-lorigine-de-lere-du-vide

8 – Typologie https://comarketing-news.fr/levolution-du-consommateur-dhier-a-aujourdhui/

9 – Quête de sens https://comarketing-news.fr/des-consommateurs-en-quete-de-sens/

10 – Ethique dans la consommation https://www.cairn.info/revue-rimhe-2015-4-page-21.htm

11 – https://www.ecommercemag.fr/Thematique/retail-1220/Breves/Covid-bio-valeur-refuge-consommateurs-fran-ais-348610.htm#

12 – https://benude.fr/les-consommateurs-nont-jamais-autant-aligne-leurs-valeurs-et-leurs-achats-alimentaires/

13 – https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/6_AANA_Atelier_prepa_EGA_CREDOC_29_09_2017_cle014127.pdf

14 – https://www.ouest-france.fr/societe/alimentatio/point-de-vue-que-voulons-nous-pour-nos-champs-nos-usines-et-nos-assiettes-7118754

15 – Agriculteurs https://agriculture.gouv.fr/les-agriculteurs-dans-la-societe-francaise-analyse-ndeg14